Comment s’assurer qu’une garantie autonome en est bien une ?
Voici une quarantaine d’années que la garantie autonome s’est glissée dans le paysage juridique français, d’abord dans les contentieux internationaux, ensuite dans des contentieux internes, enfin dans la législation qui en a reconnu l’existence avec l’ordonnance du 23 mars 2006.
Son régime est aujourd’hui bien établi, du moins en jurisprudence. Le garant ne peut opposer aucune exception quelle qu’elle soit tenant au contrat de base unissant le bénéficiaire au débiteur garant. Il ne peut que soulever des contestations au regard des clauses de son contrat de garantie. Il doit enfin régler le bénéficiaire immédiatement, à tout le moins conformément aux clauses de ce contrat qui peut requérir la fourniture d’un certain nombre de documents et le respect des délais stipulés.
La protection offerte aux cautions avive néanmoins la tentation constante des justiciables de plaider que la garantie autonome souscrite est en réalité un cautionnement. Un arrêt inédit et récent de la Cour de cassation témoigne de cette lancinante stratégie judiciaire.
La Haute juridiction devait déterminer en l’espèce si des actes de « garantie à première demande » souscrits par le gérant d’une société et sa compagne au profit d’un fournisseur de matériaux constituaient véritablement des garanties autonomes. Les garants, qui s’étaient engagés à payer à ce fournisseur tout montant dans la limite cumulée de 80 000 euros, prétendaient pour leur part s’être portés cautions.
Les juges du fond les avaient déboutés de cette prétention, au motif qu’ils s’étaient engagés irrévocablement et inconditionnellement à payer cette somme au fournisseur, à première demande de celui-ci, indépendamment de la validité et des effets juridiques des liens existant entre ce fournisseur et la société gérée, et sans faire valoir d’exception ou d’objection résultant desdits liens contractuels ou d’une quelconque contestation y afférente.
Au visa de l’article 2321 alinéa 1er du Code civil, la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel pour violation de la loi. Elle rappelle d’abord qu’il résulte de ce texte que « le garant s’oblige à payer la dette d’un tiers de manière autonome au regard du contrat de base et que son obligation a un objet distinct de celle du débiteur principal ». Elle souligne ensuite que les actes litigieux stipulaient qu’en cas de dénonciation, le garant resterait tenu des sommes dues par le débiteur garanti au bénéficiaire, résultant de factures échues ou à échoir, à la date de prise d’effet de la dénonciation. Elle en déduit que les engagements des garants avaient pour objet de garantir au fournisseur le paiement, non pas d’une somme déterminée, mais de celles que pourrait lui devoir la société gérée au moment de l’appel de la garantie et qu’ils constituaient, dès lors, des cautionnements.
Cette décision vient confirmer un courant jurisprudentiel dominant qui retient l’objet de l’engagement du garant comme critère distinctif de la garantie autonome et du cautionnement. La légitimité de cet élément départiteur mérite d’être à nouveau démontrée, tant il est contesté par les pourvois en cassation (I). Nous verrons cependant en chemin qu’il ne peut être retenu en toute occasion, ce qui en signale la relativité (II).
I- La légitimité du critère distinctif du cautionnement et de la garantie autonome.
L’arrêt du 9 mars 2022 nous confirme d’emblée que la Cour de cassation attache peu d’intérêt au champ lexical utilisé par les parties à un acte de garantie. L’emploi de termes évoquant le cautionnement tels que ceux de « caution solidaire », « cautionnement » « caution émise », « débiteur principal », « bénéfice de discussion », « bénéfice de division » ne constituent pas un obstacle à ce que l’acte reçoive la qualification de garantie autonome, pour peu évidemment que le contrat contienne une stipulation d’inopposabilité des exceptions.
Inversement, d’être présenté sous la dénomination de « garantie autonome », « garantie indépendante » ou « garantie à première demande » n’a jamais empêché un contrat d’être requalifié de cautionnement, quand bien même le garant s’obligeait à première demande et sans réserve. En l’espèce, la Cour de cassation demeure insensible à la dénomination de « garantie à première demande » donnée à l’acte du gérant et de son épouse.
Le critère de sélection entre cautionnement et garantie autonome ne réside pas non plus dans une simple référence, dans le contrat de garantie, au contrat de base. La jurisprudence admet en effet la compatibilité de la garantie autonome à cette référence expresse.
Comme le souligne un auteur éminent,
« la nécessaire existence d’un contrat de base, sans lequel l’engagement de payer telle somme à titre de garantie serait insensé, n’est nullement incompatible avec l’autonomie de l’engagement. En effet, si un lien avec un contrat de base existe nécessairement lors de la mise en place de la garantie, ce lien est rompu dès l’instant où celle-ci est souscrite. L’image du cordon ombilical coupé vient naturellement à l’esprit. Elle est d’autant plus séduisante que la séparation n’est pas absolue ».
Il importe seulement que ces « simples références n’impliquent pas appréciation des modalités d’exécution de celui-ci pour l’évaluation des montants garantis, ou pour la détermination des durées de validité ». Cette dernière précision permet d’esquisser la crête sur laquelle les deux garanties diffèrent sensiblement : l’objet de l’engagement du garant et, par suite, le contrat que cette recherche suppose d’examiner.
L’article 2288 du Code civil, qui a remplacé l’article 2011 depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 23 mars 2006, énonce que « celui qui se rend caution d’une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n’y satisfait pas lui-même ». Cette définition légale suggère que l’objet de l’engagement de la caution est proprement juridique ; il porte sur la dette du débiteur principal.
La Cour de cassation requalifie par conséquent depuis trente ans en cautionnement tous les contrats qui, bien que présentés sous la forme de garanties autonomes, stipulent que le garant s’oblige à régler à première demande et sans réserve telle somme due par le débiteur principal en cas de défaut de paiement de sa part.
Un tel objet juridique commande en effet une appréciation approfondie des clauses du contrat principal ainsi que des investigations sur tous évènements qui, dans son exécution, ont rendu certaine, liquide et exigible l’obligation du débiteur principal. Or de telles recherches, qui sont externes au contrat de garantie, démontrent qu’il n’est pas un îlot isolé, qu’il n’est pas indépendant et, par conséquent, qu’il contient un engagement accessoire, celui d’une caution.
A rebours, une garantie autonome ne requiert aucune analyse – sinon chronologique et superficielle – du contenu et de l’exécution du contrat principal pour la sûreté duquel elle a été établie. Négativement, le garant autonome est celui dont l’engagement « n’a pas pour objet la dette du débiteur principal ». Positivement, et pour reprendre les termes de l’arrêt évoqué en introduction, celui dont l’obligation a « un objet distinct de celle du débiteur principal », à savoir telle somme d’argent à concurrence d’un certain montant, déterminé ou déterminable, qu’il doit régler à première demande et sans soulever d’exception.
En bref, l’objet de sa garantie n’est pas juridique, mais purement financier et l’autonomie de la garantie n’en forme que la suite logique. Cette sûreté est en effet fondamentalement une alternative au dépôt de garantie ou à une consignation.
Cette particularité tenant à l’objet financier de la garantie autonome a été d’ailleurs jugée à ce point pertinente que l’article 2321 alinéa 1er du Code civil issu de l’ordonnance du 23 mars 2006 dispose que « la garantie autonome est l’engagement par lequel le garant s’oblige, en considération d’une obligation souscrite par un tiers, à verser une somme soit à première demande, soit suivant des modalités convenues ».
Bien qu’un peu abstrait, ce critère de l’objet juridique ou financier de l’engagement remplit correctement son office dans la plupart des situations, y compris dans les configurations hybrides. Supposons un acte de garantie qui stipule que le garant s’engage à acquitter à première demande la dette du débiteur dans la limite de telle somme, sans pouvoir opposer d’exceptions au bénéficiaire liées au contrat du débiteur. Doit-on y voir un cautionnement défini parce qu’il a pour objet la dette du débiteur, ou une garantie autonome parce que l’engagement mentionne une somme et comprend les éléments de détachement au contrat garanti ?
L’application rigoureuse du critère commande de constater que si deux éléments contradictoires sont ici en concurrence, la référence à la dette du débiteur principal précède le regard porté sur la somme d’argent due. Il échet en effet d’abord de consulter le contrat de base et son exécution pour savoir ce que doit le débiteur principal, avant de cantonner le cas échéant, au titre du plafond stipulé, l’engagement du garant ainsi déterminé. On sera donc en présence d’un cautionnement défini. Se concentrer sur l’objet de l’engagement se révèle néanmoins insuffisant dans certaines situations, que le présent article souhaite mettre en exergue.
II- La relativité du critère distinctif du cautionnement et de la garantie autonome.
Bien que pertinent dans la majorité des cas, l’examen prioritaire de l’objet de l’engagement du garant paraît peu approprié, d’une part, lorsque la garantie financière est fournie sur ordre de la loi par un professionnel au bénéfice d’un particulier et, d’autre part, chaque fois que cette garantie est consentie par une banque ou une société financières étrangère au bénéfice d’un ressortissant français : deux limites inhérentes à la personnalité du garant, qui méritent d’être évoquées tant elles sont souvent ignorées.
Le premier cas est célèbre. Depuis plus de vingt ans, les garanties financières professionnelles, qui sont impérativement souscrites par des catégories de professionnels en faveur de leurs clients, sont analysées par la Cour de cassation en des garanties autonomes. Les textes de loi qui en prescrivent la contractualisation utilisent pourtant le vocabulaire du cautionnement. Mais l’on suppute qu’il importait fondamentalement aux juges de préserver les particuliers, bénéficiaires de ces garanties, contre le tracas des contestations que la qualification de cautionnement aurait permis à ces professionnels de soulever.
Le second cas est beaucoup moins connu. Un exemple permettra de bien cerner le problème. Un établissement financier de droit anglais offre une garantie soumise au droit français dont les termes traduits en français sont abscons parce qu’ils se réfèrent tantôt au vocabulaire du cautionnement, tantôt au vocabulaire de la garantie autonome. Il stipule que le garant acquittera la dette du débiteur dans la limite de tel montant, mais qu’il règlera le bénéficiaire sans pouvoir différer le paiement ni soulever de contestation issue du contrat de base.
Si un tribunal français avait à se prononcer sur ce cas et qu’il appliquait le critère précité de l’objet, il jugerait immanquablement que cette garantie est un cautionnement. Or, bien que légitime au regard de la loi applicable au contrat et de la qualification juridique retenue par le système juridictionnel saisi, cette solution serait critiquable en ce qu’elle profiterait indûment à l’établissement britannique ayant proposé cette garantie.
Si en effet cet établissement financier l’avait soumise au droit anglais, il aurait été tenu dans les termes d’une garantie autonome. L’équivalent britannique du cautionnement, qui se nomme guarantee, est d’abord et avant tout un engagement accessoire à celui du débiteur principal. Ce contrat donne certes prise à davantage de liberté contractuelle qu’en droit français, dans la mesure où il peut y être stipulé que le garant ne peut opposer certaines exceptions du débiteur principal, par exemple la nullité du contrat garanti. Toutefois, le contrat ne saurait prévoir que la caution ne peut opposer aucune exception tirée du contrat de base.
A l’inverse, les garanties indépendantes (independant guarantees) que sont les standby credits, les demand guarantees, les first demand guarantees ou encore les unconditionnal performance bonds peuvent être actionnées indépendamment de l’inexécution du débiteur. Le critère de démarcation britannique gît dans la faculté ou non pour le garant d’opposer tout ou partie des exceptions tirées du contrat de base. Aussi, l’application du critère de l’objet aboutirait dans notre exemple à qualifier de cautionnement une garantie qui, dans l’esprit et le système du garant britannique, est une garantie autonome puisqu’il a accepté de ne pouvoir s’abriter derrière les clauses du contrat de base et les incidents de son exécution.
Fort opportunément, la Cour de cassation et quelques juridictions du fond paraissent avoir saisi la difficulté. Quelques décisions de justice ont en effet retenu la qualification de garanties autonomes au sujet d’actes de garantie contractés par des établissements financiers étrangers ayant pour objet – caractéristique du cautionnement – la dette du débiteur principal, mais comportant les deux modes d’exécution précités du garant autonome.
Ces décisions forment comme un prolongement de la jurisprudence qui, dans les années 1980, se concentrait davantage sur le mode d’exécution de l’engagement du garant. Devait-il payer « à première demande » et « irrévocablement et inconditionnellement »? Il était alors garant autonome, quoiqu’il ait à régler toute somme due par le débiteur garanti à concurrence d’un certain montant.
Aujourd’hui, la doctrine présente certes souvent cette jurisprudence comme ayant été abandonnée par la Cour de cassation à la suite d’un « changement de cap jurisprudentiel ». Elle reconnait pourtant des « incertitudes persistantes ». Car les décisions opposées évoquées ci-dessus ont précisément été rendues dans un contexte international, à l’instar de la vieille jurisprudence, tandis que la jurisprudence postérieure concerne massivement des garanties « internes » et parfois même des garanties consenties par des non professionnels.
Se dessinerait de la sorte une partition entre les garanties internes dont la qualification obéirait au critère de l’objet de l’engagement du garant – hormis lorsqu’elles sont contractées impérativement pour protéger la clientèle – et les garanties internationales où importeraient davantage les conditions d’exécution de cet engagement. En somme, à contenu identique, une même garantie pourrait être qualifiée d’autonome si le garant est une société de financement ou une banque étrangère ayant fourni sa garantie à une société de droit français, ou de cautionnement si le garant est un particulier français, voire une société non bancaire ou financière de droit français ayant consenti sa garantie à une société de droit français.
On peut estimer que ce traitement plus sévère réservé aux garanties souscrites par des banques ou sociétés de financement étranger au bénéfice de sociétés françaises puise sa légitimité dans cette règle, propre au droit français, qu’un contrat s’interprète contre celui qui l’a rédigé, surtout lorsqu’il s’agit d’un « professionnel averti qui n’a pu se méprendre sur la nature et les caractéristiques des obligations qu’il a contractées ». La jurisprudence est sensible en effet à la qualité professionnelle du garant et n’hésite pas à qualifier de garantie autonome un contrat que le garant a faussement intitulé cautionnement.
Pour en revenir à notre second cas, le garant britannique, société financière spécialisée dans les garanties indépendantes, qui se présente comme un professionnel averti, ne peut donc se méprendre sur la nature indépendante de l’engagement qu’elle a souscrit et ne saurait opposer la confusion de sa rédaction au bénéficiaire. Son engagement est une garantie autonome.
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