L’Union européenne renforce son cadre de sanctions : modifications du règlement (UE) 269/2014 relatif aux sanctions ciblées

Un élargissement des critères de sanctions individuelles
Le règlement 2025/390 introduit un onzième et un douzième critère d’inscription sur la liste des personnes physiques et morales soumises à des restrictions financières et économiques.
Le premier critère cible les propriétaires, exploitants ou gestionnaires de navires transportant du pétrole brut ou des produits pétroliers d’origine russe lorsqu’ils adoptent des pratiques de navigation considérées comme risquées ou non conformes aux standards internationaux. Ce point fait référence aux navires communément désignés sous l’appellation de « flotte fantôme », opérant sans assurance adéquate ou en violation des réglementations maritimes, une problématique identifiée par l’Organisation maritime internationale (OMI). Le second critère concerne les acteurs du complexe militaro-industriel russe. Toute personne ou entité participant au développement, à la production ou à la fourniture d’équipements et de technologies militaires pour le compte de la Russie pourra désormais faire l’objet de sanctions ciblées.
Un encadrement plus strict des opérations financières et commerciales
Le texte renforce également le suivi des transactions financières et des échanges commerciaux afin de limiter les risques de contournement des sanctions existantes.
Pour améliorer la coopération internationale dans ce domaine, la Commission européenne pourra échanger des informations avec les autorités compétentes des pays partenaires appliquant des sanctions similaires. Ces échanges couvriront les opérations commerciales, les flux financiers et les transactions suspectes impliquant des opérateurs de pays tiers.
En parallèle, les entités assujetties, notamment les banques et institutions financières, seront désormais tenues de signaler aux cellules de renseignement financier (CRF) toutes les transactions suspectes en lien avec d’éventuelles violations des sanctions européennes. Cette obligation entre en vigueur à compter de mai 2025, en application de la directive (UE) 2024/1226 relative aux infractions pénales en cas de violation des sanctions de l’Union.
Des mesures spécifiques pour contrer le contournement des sanctions
Face aux tentatives de contournement des mesures restrictives, le règlement introduit une obligation renforcée pour les entreprises européennes détenant des filiales ou des partenaires commerciaux en dehors de l’UE. Ces entreprises devront mettre en place des procédures de contrôle interne pour s’assurer que leurs partenaires ne prennent pas part à des activités vidant les sanctions européennes de leur substance.
Dans cette optique, les opérateurs européens devront exercer une diligence raisonnable accrue sur leurs partenaires commerciaux étrangers, en prenant en compte les secteurs d’activité, la localisation des partenaires et les risques associés aux transactions.
En cas de non-respect de ces obligations, les entreprises européennes pourraient être tenues responsables des actions de leurs filiales ou partenaires non européens si celles-ci participent à des activités qui contournent les sanctions.
De nouvelles dérogations nominatives pour permettre le transfert d’actifs
Le 16ᵉ paquet de sanctions introduit par le règlement (UE) 2025/390 allonge la liste des dérogations nominatives permettant le déblocage de certains fonds gelés afin de faciliter la vente d’actifs, sous réserve que le produit de ces transactions soit lui-même gelé. Les personnes concernées, au nombre de trois initialement, sont désormais six.
Ces dérogations se cantonnent cependant aux transferts de droits de propriété devant être réalisés avant le 30 juin 2025.
On notera que ces dérogations ont été accordées alors même que les bénéficiaires n’en ont pas fait la demande expresse.
Ces mesures suscitent donc des interrogations quant aux critères ayant présidé au choix des bénéficiaires. S’il était en effet envisageable que ces nominations découlent des déclarations d’actifs réalisées par les personnes sanctionnées conformément à l’article 9 du règlement (UE) n° 269/2014, il semble cependant évident que les six personnes visées par la dérogation de l’article 6ter, 5 septies du règlement 269/2014 ne sont pas les seuls, sur une liste totale de 1879 individus sanctionnés, ayant déclaré aux autorités européennes la détention d’actifs sur le territoire de l’Union Européenne.
Ces dérogations sont toutefois strictement encadrées, notamment par l’obligation de geler le produit de la vente après cession.
De nouvelles dérogations ciblées pour assurer la continuité de certains services
Bien que le cadre des sanctions soit renforcé, l’UE prévoit néanmoins certaines dérogations spécifiques afin d’éviter des perturbations excessives dans certains secteurs.
L’une de ces dérogations concerne la fourniture de biens et de services spécifiques au réseau de métro de Budapest, qui bénéficie d’une exemption pour l’entretien de voitures livrées par Metrowagonmash en 2018.
Un renforcement de la coopération entre autorités nationales et européennes
Le texte met également l’accent sur l’amélioration de la coopération entre les autorités nationales et européennes en matière de suivi des sanctions.
Les autorités douanières, financières et répressives des États membres devront désormais échanger de manière plus systématique les informations pertinentes avec la Commission et entre elles. Cette mesure vise à faciliter la détection et la prévention des violations des sanctions.
En complément, l’UE prévoit de fournir une assistance aux opérateurs économiques pour les aider à se conformer aux nouvelles obligations, notamment lorsque ces exigences impliquent des ressources importantes ou une expertise spécialisée.
Un cadre juridique renforcé pour protéger les entreprises européennes
Le règlement introduit enfin une nouvelle disposition visant à protéger les opérateurs de l’Union contre d’éventuelles actions en justice menées par des entités russes ou étrangères en réponse aux sanctions.
Les entreprises européennes concernées pourront désormais demander des compensations pour les préjudices subis, y compris les frais de justice, lorsque l’application des sanctions entraîne des litiges à l’étranger. Une nouvelle disposition, fondée sur le principe du forum necessitatis, permettra également aux juridictions européennes de statuer sur certaines demandes de dommages et intérêts, même si aucune autre juridiction de l’UE n’est compétente selon le droit en vigueur.
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