Il est commun de ranger les dépôts bancaires, qu’ils soient à vue ou à terme, dans la catégorie civile des dépôts dits irréguliers, parce qu’ils portent sur une chose fongible, l’argent. Qualification purement doctrinale, le dépôt irrégulier n’est cependant reconnu ni par la législation civile, ni par la législation commerciale. Son régime ne fait pas non plus l’objet d’un consensus. Enfin, les dépôts bancaires n’en vérifient guère les traits essentiels : nulle trace ne s’y repère, ni des obligations spécifiques de conservation et de restitution du dépositaire irrégulier, ni de la propriété du déposant sur l’équivalent de son dépôt.

1. Qu’ils émanent des particuliers ou des entreprises, les « dépôts » en banque forment le socle historique de l’activité bancaire. Il est d’usage de distinguer ceux qui sont à vue de ceux qui sont à terme. Leur montant cumulé représente une masse monétaire annuelle pharaonique. Selon la dernière estimation de la Banque de France, les encours des dépôts à vue s’élevaient fin 2023 à 1 261 milliards d’euros, tandis que les encours des dépôts à terme de moins de deux ans et les comptes sur livret atteignaient 155 milliards d’euros sur la même période. Et pourtant, l’appréhension juridique des « dépôts bancaires » demeure nimbée d’un halo brumeux. Une très ancienne controverse, vieille de plus de deux mille ans, s’interrogeait en effet sur la nature juridique de ces remises de fonds en banque : viennent-elles en exécution d’un contrat de dépôt ou d’un contrat de prêt consenti à la banque ? Cette controverse, sur laquelle les juristes se penchaient encore avec avidité au début du XXe siècle, est tombée aux oubliettes depuis plusieurs décennies. Depuis 20 ans, rares sont les ouvrages de droit bancaire qui l’abordent sérieusement. Le prétexte est souvent insinué qu’elle ne présente aucun intérêt pratique ou, pire, qu’elle aurait définitivement été vidée par la Cour de cassation au profit de l’idée que ces fonds suivent le régime du dépôt ou, à la rigueur, celui du dépôt dit « irrégulier ».

2. Puisant son origine dans le vieux depositum du droit romain, le contrat de dépôt est une figure traditionnelle du droit civil, que réglementent les articles 1915 et suivants du Code civil. Ses traits, essentiels ou naturels, sont connus. Conclu dans l’intérêt du déposant, propriétaire d’un corps certain, c’est-à-dire une chose individualisée qui puisse être rendue identiquement (C. civ., art. 1932, al. 1er), il oblige celui qui la reçoit, le dépositaire, à la conserver (C. civ., art. 1927), à n’en faire aucun usage (C. civ., art. 1930) et à la restituer en nature (C. civ., art. 1915 et C. civ., art. 1932, al. 1er) sur simple demande du déposant (C. civ., art. 1944). Le déposant ne s’oblige, quant à lui, qu’à rembourser le dépositaire des frais encourus pour la garde de la chose (C. civ., art. 1947) et, si elle a été convenue, à lui verser une rémunération nonobstant les termes de l’article 1917 du Code civil. Il n’est pas douteux que les dépôts bancaires, qu’ils soient à vue ou à terme, ne répondent pas à ces éléments essentiels du dépôt du Code civil. On peut certes faire l’impasse sur l’élément, seulement naturel, consistant pour ce contrat à être contracté dans l’intérêt du déposant. Jadis distinctif de la qualification de dépôt en droit romain, il n’est plus essentiel à l’opération en droit moderne. Le Code civil envisage lui-même en effet que le dépôt puisse être contracté dans l’unique intérêt du dépositaire (C. civ., art. 1928, 3°) situation dans laquelle entreraient les « dépôts bancaires », réputés profiter davantage aux banques qu’aux particuliers.

3. Abstraction faite de ce premier élément, compatible avec la qualification de dépôt, les dépôts bancaires ne vérifient aucune condition essentielle du contrat de dépôt que le Code civil régit. Ces dépôts portent sur de la monnaie fiduciaire ou scripturale, qui ressortit à la catégorie des choses fongibles et non des corps certains. L’établissement bancaire ne conserve nullement les fonds remis. Il en dispose au contraire. Il ne les restitue pas en nature, mais par équivalent, y compris aujourd’hui dans un système qui repose en grande partie sur la monnaie scripturale. Le déposant n’en est plus propriétaire. On l’investit malgré lui d’une simple créance chirographaire de sommes d’argent, contrairement à l’idée admise que le déposant d’une chose peut la revendiquer dans quelques mains qu’elle se trouve. Qu’à cela ne tienne, la doctrine bancaire répond sereinement que le dépôt bancaire n’est pas un dépôt « régulier », celui que traite le Code civil, mais un dépôt « irrégulier ». Ce contrat, dont il faut reconnaître la mention déjà sous la plume des glossateurs du Digeste au XIIIe siècle, s’entendrait d’un dépôt dont la particularité serait de porter sur des choses fongibles, en d’autres termes des choses susceptibles d’être confondues avec d’autres de même genre, nature et espèce, par exemple des vis usinées de zinc de même diamètre. Cette définition, qui n’est que doctrinale en l’absence de législation sur le sujet, fait l’impasse sur l’indicible confusion qui règne sur le régime juridique de ce contrat, qu’il convient de cerner préalablement (I), pour se rendre à l’évidence que, quelle que soit l’opinion que l’on s’en fait, les dépôts bancaires quels qu’ils soient, à vue ou à terme, n’y correspondent pas (II).

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