S’ils ne correspondent pas à des dépôts irréguliers du droit civil, les dépôts bancaires à vue ne peuvent s’analyser simplement en des prêts à la consommation octroyés par la clientèle aux établissements de crédit. Nonobstant l’acuité des arguments de cette thèse ancienne et la vanité des objections qui lui ont été portées, elle mérite d’être affinée : car, au vrai, les dépôts à vue sont des prêts accessoires à la mise à disposition, naguère facultative, aujourd’hui nécessaire, de services de paiement à la clientèle.

1. Dans un article précédent, nous avons tâché de démontrer que les dépôts bancaires, qu’ils soient à vue ou à terme, ne peuvent émarger à la qualification de contrats de dépôt irrégulier1. Les lecteurs, s’ils ont été conquis, se sont très certainement demandé, après cette réfutation, ce que nous soutenons positivement. Il est temps de reprendre le fil de notre ouvrage et d’achever l’analyse : celle que les « dépôts » bancaires dissimulent des prêts que les clients consentent à leur établissement bancaire, en relation d’accessoire aux services de paiement que ceux-ci mettent à leur disposition.

2. On oublie souvent que cette qualification juridique de prêt fait l’objet d’un certain consensus doctrinal, s’agissant des comptes à terme que sont notamment les comptes d’épargne et les livrets d’épargne, par exemple le livret A (C. mon fin., art. L. 221-1 et s.), le livret jeune (C. mon fin., art. L. 221-24 et s.), le livret de développement durable et solidaire (C. mon fin., art. L. 221-27 et s.), le compte d’épargne logement (CCH, art. L. 315-1) et les produits d’épargne logement (CCH, art. L. 315-1 et s.). Les spécialistes de droit bancaire s’accordent à y voir des prêts de deniers à échéance octroyés par les particuliers aux établissements de crédit. Ainsi le doyen Ripert les analysait en des prêts à la consommation octroyés aux banques, régis par les articles 1892 et suivants du Code civil : « Malgré sa dénomination, ce contrat constitue un prêt à intérêt fait à la banque. Mais la créance résultant du prêt figurera dans le compte du client et cela lui donne un caractère particulier ». Les sommes versées par le client qui ouvre un compte d’épargne ou un livret d’épargne sont des sommes qu’il prête à terme à sa banque.

3. Reste que l’ouverture d’un compte-chèques, parfois improprement dénommé « compte courant », et le versement de sommes à son crédit représentent, depuis l’émission des chèques en France en 1864, la figure emblématique du « dépôt bancaire » sur laquelle disserte la doctrine juridique. Il est même d’usage de le nommer « compte de dépôt ». Or, nous l’avons vu, le dépôt bancaire ne peut s’analyser en un dépôt irrégulier et, faut-il ajouter, cette analyse n’a nulle raison de varier depuis la création du chèque. Celui-ci ne modifie en effet que le mode de versement (chèque émis en faveur du client de la banque teneur du compte) et de restitution (chèque émis en faveur d’un tiers) des sommes confiées au banquier. Le prétendu « dépôt » de fonds sur un compte-chèques est en vérité un prêt de deniers au banquier, comme celui sur un compte d’épargne, à ceci près qu’il est dépourvu d’échéance. Dès la fin du XIXe siècle, nombre d’auteurs soutenaient ce point de vue. Toutes les thèses consacrées au « dépôt » bancaire opinaient en ce sens. Dans l’entre-deux-guerres, la jurisprudence elle-même ne se montrait pas fermée à cette analyse des dépôts bancaires en des prêts à la consommation : la chambre des requêtes la retint dans un arrêt du 25 février 1929, comme le firent des juges du fond.

4. Aujourd’hui encore, alors que cette opinion s’est marginalisée, elle ne continue pas moins à transparaître dans certaines publications. Dans un fameux commentaire, le professeur Larroumet reconnaissait que « la différence s’atténue considérablement entre le dépôt irrégulier et le prêt de consommation, les articles 1892 et 1893 du Code civil, propres au second, pouvant être étendus au premier ». Traitant de l’abus de confiance réprimé par l’article 314-1 du Code pénal, le professeur Conte écrit encore que « le dépôt irrégulier, qui transfère la propriété puisqu’il porte sur une chose fongible, n’entre pas dans ses prévisions : le déposant n’est que créancier de la restitution d’une chose équivalente et il s’agit en réalité d’un prêt de consommation ». Les économistes partagent aussi et souvent cette analyse. Il n’est jusqu’à un ancien directeur général de la Société Générale d’écrire, à propos des comptes de dépôt, que « du point de vue juridique, ils peuvent être considérés comme enregistrant des prêts successifs et le remboursement de ces prêts, et font apparaître à tout moment la créance exigible en faveur du client ou, très exceptionnellement, en faveur du banquier ».

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L’article complet est accessible en suivant ce lien : Pourquoi les dépôts bancaires sont des prêts d’une nature particulière